C'est quoi l'éthique ici?

Nelly et Jimmy sont accompagnés depuis plusieurs années par Lauralee, éducatrice aux Papillons Blancs. Nous avons parlé semble de cette relation et des questions qu’elles et ils peuvent se poser autour de l’accompagnement à la parentalité. Bonne écoute !

Séminaire SFSP 2018
ATD Quart Monde

En 2018, la SFSP a organisé un séminaire autour de l’éthique de l’accompagnement à la parentalité, qui posait déjà cette question : « de quoi j’me mêle ? ». Dans ce cadre,  Micheline, Oriane et Béatrice, militantes du mouvement ATD Quart-Monde, accompagnées par Nathalie Victor, en charge des questions de santé pour ce mouvement, ont partagé avec le public leur témoignage et réflexions autour de la parentalité. Bonne écoute !  

Début de l’intervention 

Nathalie Victor : 

Maintenant, on va reparler, finalement, d’une réalité vécue, concrète, permanente. J’accompagne des militants ATD quart monde. Je vais prendre quelques secondes pour vous expliquer comment à ATD quart monde, il ne s’agit pas de se substituer, jamais, aux militants. Et sous le terme militant, dans le jargon d’ATD quart monde, parce qu’on en a tous un, ce sont les gens qui vivent ou qui ont vécu la très grande pauvreté. Alors, maintenant, on dit : les précarités, on a d’autres mots, parce que ça ne fait pas très bien de dire « la pauvreté », comme on dit les quartiers populaires. Les quartiers populaires, du coup, on ne sait plus ce que c’est. 

On est clairement à ATD, dans l’aide, l’accompagnement, enfin, on ne reparlera pas de tous les mots, mais les militants, ce sont eux qui ont à nous apprendre et à échanger avec ceux que l’on appelle, aussi, les alliés, à ATD. C’est-à-dire que les alliés sont des personnes qui n’ont pas vécu la grande pauvreté, qui, finalement, n’ont pas cette expérience-là, mais qui souhaitent, en particulier, par exemple, dans le réseau santé, mettre à disposition, faire des liens et permettre une expression des personnes concernées. Parce qu’on a toujours dit qu’il fallait que les personnes concernées puissent avoir voix au chapitre. 

Nous allons nous prêter à cet exercice. Donc, on a réfléchi ensemble, on a parlé ensemble pour préparer cette intervention. Si vous étiez malmenés, ce ne serait pas du tout de notre fait, mais, quelquefois, le vécu est très émotif et très important pour les militants. Donc, vous nous excuserez par avance, d’une expression vigoureuse qui va peut-être vous interpeller dans vos pratiques. 

Dans l’ordre, vous allez avoir Béatrice qui va vous expliquer son point de vue de grand parent, grand-mère. Et son mari va vous expliquer, ensuite, dans le débat, si vous le souhaitez, la position des beaux-grands-parents. Ça, c’est encore un truc super compliqué ! 

Ensuite, Oriane va vous parler du ressenti de ce que c’est que d’être enfant qui grandit dans la pauvreté. Parce qu’il n’y a qu’une question qu’on ne s’est pas posé tout à l’heure sur l’éthique, c’est : quand est-ce que ça s’arrête la parentalité ? Et, est-ce que ça s’arrête un jour ? Et Oriane va nous expliquer son ressenti. 

Et Micheline, c’est une interrogation, finalement, sur la place des parents et comment on fait pour qu’on s’en sorte et que les enfants s’en sortent. 

Béatrice : 

Bonjour à tous. Je suis Béatrice et je voulais parler de grand-parentalité, parce que ça n’existe pas. On dit grands-parents, mais on ne dit pas grand-parentalité. On dit toujours parentalité. Donc, on a rajouté ça, nous, à notre langage. Le problème, c’est que les grands-parents, dans la grand-parentalité, on n’est pas reconnus par rapport à d’autres petits-enfants. Quand il y a un souci de placement, on regarde le passé des grands-parents, si on a été placés, si nos enfants étaient placés… Ils ne veulent pas regarder le présent de la personne mais ils regardent ce qui s’est passé avant. Et du coup, on n’est pas reconnus en tant que grands-parents. On est jugés et on est mis à l’écart. 

Là, actuellement, on a des petits-enfants qui sont placés. Enfin, plus de mon côté, puisque c’est mon mari qui n’est pas le vrai grand-père. Et il n’est pas reconnu par les services sociaux, alors qu’on est mariés. Pour moi, à partir du moment où on est mariés, où l’enfant n’a connu que ce grand-père, c’est un grand-père à part entière. 

On a pu avoir une petite avancée, c’est récent, on est passés en justice, le 6. Ce n’est pas vieux, il y a deux jours. On a été reçus parce que j’ai envoyé un courrier, mais si je n’avais pas été sur place, je n’étais pas convoquée. La juge m’a reconnue en tant que grand-mère et a reconnu mon mari en tant que grand-père. C’est la première année en six ans !  

Mais par contre, dans les services sociaux, malgré tout, ça reste toujours « monsieur », et le petit-fils va chez la grand-mère, il ne va a pas chez les grands-parents. Et j’aimerais bien que ce terme là, ça change. Parce qu’on est deux à la maison ; il n’y a pas que moi, il y a aussi le grand-père qui est présent. On a pu obtenir un peu plus de visites que prévues. Au départ, c’était une fois par mois. On nous disait que c’était mieux que rien. Et quand on m’a donné l’accord pour deux fois par mois, je me suis retournée vers l’assistante sociale et la responsable, sa cheffe de service, j’ai dit : « eh ben, deux fois par mois, c’est mieux que rien » d’un air de dire : voilà, ce n’est que deux fois par mois. 

Et, normalement, pour les vacances scolaires, parce que j’ai quand même mis, aussi, le fait que le petit a six ans et n’a jamais passé une seule fois les vacances en famille… je leur ai mis ça sur le fait accompli et on m’a accordé que pendant les vacances on l’aurait une fois par semaine. Un jour par semaine, mais en journée, pas en nuit.  

Comment voulez-vous construire notre rôle ? Alors, on l’a fait notre rôle de grands-parents parce qu’il nous reconnaît bien, le petit, tout se passe bien. On est reconnus par la nouvelle juge. Mais comment voulez-vous qu’on puisse être reconnus en tant que vrais grands-parents si on ne peut pas vivre plus de temps ensemble. Le petit, quand il repart, le soir, après la journée, il dit : « mais c’est quand que je dors chez Papy, Mamy ? » Et moi, à chaque fois, je lui dis : « je ne sais pas ». Et là, je vais lui dire : « je ne sais pas, je ne sais toujours pas ». La journée se passe super bien mais au moment du départ, le petit, une demi-heure avant, il commence à s’exciter, il n’est plus bien du tout, on est obligés de le recadrer alors que la journée, ça se passe parfaitement bien. Et le gamin sait qu’il va repartir. Et ça, ce n’est pas normal que ça se passe tout le temps comme ça avec des enfants qui sont placés. 

Ça serait bien qu’on fasse plus confiance aux grands-parents, même si on n’a pas été des super parents, parce que est-ce qu’il y a vraiment des super parents dans la salle ? Je ne crois pas. On n’est pas tous parfaits, on a tous des défauts. Il faut passer à autre chose et quand on est grands-parents, on a pris de l’âge, certes, on a évolué dans notre vie, parce que moi, à l’époque, quand j’étais mère, j’étais toute seule, j’avais des situations pas faciles. Depuis, j’ai rencontré quelqu’un, j’ai une vie stable, mais ça, ce n’est pas reconnu et ce n’est pas normal dans la société actuelle. 

La proposition que j’aurais à faire, c’est : plus de dialogues avec les services sociaux et pas que quand on nous prend un enfant, on nous dit : « ah, mais il sera bien chez nous ». Moi, j’avais répondu, la première fois : « mais parce qu’il ne sera pas bien chez nous… » Et quand j’ai rencontré l’assistante sociale qui vient d’avoir un bébé récemment, le petit a cinq mois… parce que j’ai fait semblant de m’intéresser à elle, parce que, franchement, je m’en fous ! Je suis honnête… Franchement, sa vie, je m’en fous, parce que moi, elle me l’a cassée, ma vie. 

J’avais envie de lui dire : « mais vous allez placer votre petit ? Parce qu’il sera bien chez eux ! » Et puis, bon, j’ai fermé ma bouche, j’ai dit : « passe à autre chose, va dans le bureau du juge, si tu es acceptée… voilà, demande ce que tu as envie, vraiment, d’avoir avec ton petit-fils ». Mais c’était vraiment une envie de lui sortir. Elle a un gosse, maintenant. Si on lui enlève son gosse, elle va faire quoi ? Mais comme c’est une assistante sociale, on ne lui enlèvera pas. 

Nathalie Victor : 

On va continuer l’interrogation. Je pense que vous pouvez commencer à toucher du doigt que l’éthique, dans le travail social, nous y réfléchissons tous les jours avec les militants. Donc, Oriane… 

Oriane :  

Moi, en tant qu’enfant, je n’ai jamais vraiment vu la différence entre les gens riches et les gens pauvres, sauf à partir du collège, où là, on voit un peu la différence, surtout au moment de Noël. Les enfants riches, on va dire, nous disent : « moi, j’ai eu ça comme cadeau ! J’ai eu ça comme cadeau ». Oui, ben, nous, on a eu des petites bricoles, mais bon… Mais après, franchement, je ne m’en suis jamais trop plaint, parce qu’on a l’amour de nos parents et c’est le plus important. Et on a à manger dans l’assiette tous les jours. Pour nous, c’est le plus important. Il y a juste eu un moment où, vraiment, on a commencé, un peu, à dévier avec mon frère, en partant dans des bêtises… comme tous les jeunes, on va dire.  

Et là, ma mère a décidé de nous mettre un éducateur. Ça a été son choix, à elle. Et, franchement, ça s’est super bien passé avec notre éducateur. Parce qu’il y a eu une confiance entre ma mère, nous et l’éducateur.  

Moi, ma proposition, c’est vraiment qu’il y ait une confiance qui s’installe entre l’éducateur et la famille… le travailleur social, en général, et la famille. Parce que je vois, ma nièce a un éducateur et ça se passe beaucoup moins bien, mais parce qu’il n’y a pas une confiance qui s’est installée entre eux et les parents.  

Nathalie Victor : 

Pour les enfants, ce que tu nous avais expliqué, c’est que les dissensions entre les parents, la famille, les enfants, et les travailleurs sociaux, les éducateurs, les professionnels de santé, sont quelque chose de plus insupportable encore pour les enfants. C’est-à-dire que dans une intention louable et toujours, évidemment, positive, d’aider les familles, d’aider les enfants, quand les enfants se trouvent être l’objet d’engueulades, en plus, entre les parents et les travailleurs sociaux, ça devient ingérable. Ils ne peuvent plus s’y retrouver du tout, du tout, du tout. Et Oriane, en nous racontant hier soir, la vie de sa nièce qui a douze ans, on voit bien que cette enfant est perturbée, plus encore que ce que voudrait, finalement, sa situation. La situation s’aggrave par le fait que les dissensions sont importantes. D’où cette proposition portée par Oriane qu’il y ait un consensus, que les gens puissent s’entendre. Et les adultes se comprennent, s’entendent autour des enfants. Si le sujet, c’est les enfants et la préoccupation qu’il y a pour leur avenir en santé, leur développement et tout ça, il faut qu’il y ait un consensus et non pas des dissensions et des bagarres entre les adultes qui vont intervenir auprès des enfants. Parents et tous ceux qui sont autour. 

Micheline… 

Micheline : 

Moi, c’est sur le ressenti des familles sur les services d’accompagnement. C’est vrai qu’à l’école, on vous formate, parce que pour moi, c’est formater, avec des normes. Et le truc, c’est qu’après, vous appliquez vos normes sur les familles que vous accompagnez. Et c’est vrai que ces normes-là, des fois, elles sont belles sur le papier, mais c’est vrai qu’en théorie, des fois, ce n’est pas du tout bon, parce qu’il n’y a pas de prise en compte des contraintes pour les familles ou de leur avis à eux, ou de leur façon de vivre, ou de leurs habitudes. Des fois, ça casse tout et le déséquilibre s’installe. Et c’est vrai que le problème, après, c’est que, nous, ce qu’on ressent, c’est : « je vous impose de faire ça, ça, ça ». Et déjà, c’est une contrainte de plus qui se rajoute déjà à la vie quotidienne. Vous, vous pensez à vos normes et peut-être aussi à vos fiches de poste où ça doit être comme ça. Mais le problème, c’est que quand c’est en déséquilibre… parce que si la personne demande : très bien ! Mais si la personne à qui on demande, ne peut pas le faire, après, il y a un déséquilibre, étant donné que personne ne se comprend ou personne ne comprend l’autre ; en disant : « pourquoi elle me l’impose ». Et le travailleur social dit plus ou moins : « pourquoi elle ne le fait pas, puisque je lui ai demandé de le faire ! » Alors qu’il y a surtout le dialogue qui doit s’instaurer entre le travailleur social et la famille complète. Parce qu’il ne faut pas dire : il n’y a que la mère ou que le père. C’est vraiment une famille, en fait, que le travailleur social accompagne. Mais j’aime mieux le fait de tenir compagnie. ‘Accompagne’, je ne le supporte pas comme mot. Pour moi, accompagner, c’est tenir la main et tirer. Mais tenir compagnie, c’est sympa. Et c’est surtout afin de révéler à l’autre, ses capacités. C’est ça aussi, il faut prendre en compte ce que la famille est capable de faire, ou sait faire. Déjà, quand on a un accompagnement, c’est très difficile. Ça veut dire, quand même qu’on n’est pas capable d’assumer. Alors qu’on est capable d’assumer mais avec nos capacités à nous, et nos façons de faire, pas systématiquement vos façons de faire. Et c’est ça qu’il faudrait essayer de conjuguer pour, justement, avoir un bon travail ensemble et une finalité qui est heureuse, plutôt que le placement ou les foyers, peu importe…ou la tutelle qui n’est pas facile, non plus, à accepter.  

C’est tout un cheminement qu’il faut faire ensemble, un compagnonnage plutôt qu’un accompagnement. Un compagnonnage à faire ensemble pour que la fin soit heureuse et que ça donne un chemin à tout le monde, vraiment à tout le monde. 

Ma proposition serait : ne pas parler d’accompagnement mais de parentalité, mais tenir compagnie, c’est pas mal non plus. Ne pas faire pour. Surtout ne jamais faire pour les gens, mais faire avec et faire ensemble, en tenant compte des points forts des parents. C’est toujours ça. Quand je parle de partenariat, c’est que justement, tout le monde, que ce soit la famille, comme le travailleur… apportent ce qu’ils savent faire et conjuguer les choses pour aller plus loin. Et une co construction avec les parents, avec l’intérêt des enfants. Surtout, n’avoir que ça comme cible et, au sens large, je reviens à ce que disait Béatrice, la parentalité, pour moi, c’est les parents, ce qui est normal, les grands-parents, mais il y a les oncles et les tantes, autour, et les cousins. Moi, rien qu’en un an, j’ai eu trois petits-fils en même temps. Ils ont dû se donner le mot, à mon avis, mais chacune de mes filles comme de mes belles-filles, c’est : « qu’est-ce que je dois faire ? » parce que c’est leur premier, pratiquement à tous, en plus. Et c’est ça, qu’il faut tenir compte que les grands-parents sont là pour aider, que les oncles et tantes sont là pour soulager : « tu ne peux pas me le prendre un après-midi, parce que je suis fatigué(e) ». Mais les grands-parents sont en soutien … Et c’est leur rôle, c’est les grands-parents, de toute façon. Mais c’est vrai que les filles aiment bien se reporter vers leur mère plutôt que qui que ce soit d’autre étranger.  

Nathalie Victor : 

Puisque nous sommes au Ministère de la Solidarité et de la Santé, quand Micheline parle de l’expertise, des points forts des parents, de l’expertise des parents, et de faire ensemble, je vous invite à vous procurer une des publications d’ATD quart monde qui est : « se nourrir quand on est pauvre ». Les militantes qui sont là défient tout le monde, ici, de savoir nourrir une famille quand on a des revenus extrêmement petits, pour ne pas dire réduits à la plus simple expression. C’est-à-dire des familles qui vont mettre de côté l’argent. Quand les prestations familiales, par exemple, arrivent, on achète ce qu’il faut pour les enfants pour le mois, et ce qui restera qui est très faible, qui peut représenter cinquante euros, servira à nourrir les adultes. C’est un défi. 

On a travaillé en laboratoire d’idées dans le réseau santé d’ATD quart monde, très longtemps sur l’alimentation. Il s’est fait énormément de choses et les militants ont pu donner leur savoir-faire sur l’alimentation. Autant vous dire que les ‘cinq fruits et légumes par jour’, est notre slogan préféré ! Evidemment ! Mais les conséquences d’excellentes propositions en matière de santé pour notre avenir à tous, y compris celui de la planète, par rapport à des gens qui, pour se nourrir, ont cinquante euros dans le mois, c’est un décalage tel que ça met en colère, ça détruit et ça a des effets totalement contreproductifs, en plus. Parce qu’à force d’être mis dans une incapacité de faire ce que la science nous recommanderait éventuellement, pour notre bien, c’est extrêmement pénible. Et, du coup, en matière de santé, ce n’est pas entendable. 

Donc, vraiment, il y a cette publication : « se nourrir quand on est pauvre ». Vous pouvez le commander sur le site d’ATD quart monde, je vous le recommande parce qu’il y a une expertise que vous ne rencontrerez jamais dans les écoles diverses et variées, qu’elles soient de santé ou de travail social. 

Et, finalement, pour moi, si je résume un petit peu ce qui nous a portés dans notre intervention, c’est de se dire — parce qu’on a parlé des normes, on l’a repris— pour ce qui concerne les travailleurs médicosociaux, souvent, on est formatés par nos études. On est formés à des référentiels. On approuve, évidemment, les données de la science quand elles sont prouvées, pas quand elles sont, quelquefois, un peu inventées. Mais… se tenir compagnie, à ATD quart monde, ça nous permet de se déformer avec les réalités. C’est-à-dire, quand on prend en compte les réalités, quand on écoute, et quand on se tient compagnie et qu’on fait attention à l’autre, on se déforme et on abandonne un peu nos référentiels parce qu’effectivement, comme dans la dernière histoire, tout est affaire de circonstances, tout est affaire de situations. Et il n’y a pas de réflexe à avoir automatiquement, si on peut se garder de ça. Ce serait ma proposition.